De la perte du réel

Sur la photographie de Robert F. Hammerstiel

(Extrait)


Avec les emballages de la "garde-robe de Barbie" Robert F. Hammerstiel nous montre – et la référence aux disquettes PC n'est certes pas un hasard – un aspect des possibilités de transformation et d'appropriation individuelle. Accrochées ou collées sur des cartons aux couleurs vives, les photos sont soudées entre deux verres en acrylique qui signalent la distance et l'inaccessibilité. Cette forme de présentation renforce aussi leur caractère interchangeable ; les photos deviennent de véritables produits de masse qui constituent une collection d'objets inflationnistes et reproductibles à l'infini.

Barbie et les nombreux accessoires dont elle s'entoure, fait partie de cet apprentissage précoce – tant au niveau historique que biographique - d'une pratique de mise en scène liée à la culture des masses, qu'Ulrich Beck qualifie de "biographie de bricolage", une étape nécessaire dans le processus d'individualisation. A partir d'une offre hétérogène, on choisit les accessoires pour sa propre mise en scène et stylisation, sans référence aucune à un contexte social quelconque qui caractériserait l'individu.

Dans Mit vereinten Kräften et make it up Robert F. Hammerstiel nous montre comment le processus d'esthétisation de notre environnement et son accélération qui accompagne la production en masse s'attaquent maintenant à l'homme. Les produits de masse industrialisés et l'esthétique du beau s'unissent : le contrôle du corps et le modelage esthétique du corps forment une partie intégrante de la stratégie éducatrice. On nous présente un monde muet dans lequel les objets sont certes visibles mais sans aucune référence au-delà de leurs propres limites. C'est là que réside la force de Hammerstiel, il nomme les objets sans pour autant les montrer du doigt.

A l'inverse de ses oeuvres précédentes, make it up permet à Hammerstiel d'entrer pour la première fois directement dans le monde très familier des idoles qui partagent avec cette poupée le fait d'être "une synthèse brillante des stéréotypes de la vie et de l'amour" 1). Malgré l'aspect charnel des Barbies, la photographie nous montre clairement que Barbie ne représente, réellement, qu'une seule passion : celle d'une image et le désire inhérent à cette image. Ressembler à cette image, voilà l'objectif de la mise en scène du soi.

En transformant les photos de Barbie en de véritables portraits, Hammerstiel double l'effet de Barbie comme médium esthétique. Cette surenchère sert avant tout à l'assimiler et à nous démontrer qui nous sommes lorsque nous reprenons sur nous les attributs de ce monde de simulacre en le vivant comme une réalité esthétique fictive. En se servant des moyens du portrait photographique, l'artiste simule une personne réelle. Dans les magnifiques portraits, son monde de simulacres se croise avec le monde réel du sujets. Grâce à ce double simulacre, Barbie devient une reproduction de la vraie vie. Il ne s'agit plus de Barbie qui simule une vie, c'est le monde virtuel de la photographie en couleur qui simule Barbie avec son expression et ses accessoires : c'est la représentation en tant que simulation simulée comme si - derrière ces portraits - la vraie, l'authentique Barbie existait. Dans les œuvres de Hammerstiel, Barbie devient sa propre reproduction et s'approche ainsi dangereusement de celles qui suivent son exemple.


  1. Baudrillard, Jean, Amerika, München 1987

Michael Müller, Brême 1994